Historiographie succincte des femmes et du genre

L’historiographie est définie à la fois comme l’histoire de l’histoire et l’analyse de l’écriture de l’histoire. Discipline à part entière, elle connaît un renouveau dans les années 1970 en France avec Paul Veyne, Michel de Certeau, Michel Foucault, Jacques Le Goff ou Pierre Nora. Au-delà de sa définition traditionnelle en tant qu’histoire de l’histoire et description de l’écriture de l’histoire, est également l’étude de la professionnalisation de la discipline. Il s’agit de définir et analyse ce qu’est « faire de l’histoire ». Au XIXe siècle, l’histoire se constitue peu à peu comme discipline scientifique autonome. Dans le même temps, elle reçoit un rôle pleinement politique : elle doit servir à faire aimer la nation. Mise au service d’un projet patriotique et national, elle se concentre sur l’exaltation de grandes figures historiques. C’est ce que les historiens contemporains ont appelé le « roman national ». L’objet de l’historiographie est d’explorer les conceptions de l’histoire, les pratiques et les manières de faire des historiens : comment ils interrogent le passé, avec quels outils et pour en comprendre quoi. Dresser aujourd’hui un panorama des recherches en histoire, c’est ainsi montrer comment cette discipline s’est constituée au fil du temps, mais c’est aussi présenter l’histoire telle qu’elle se pratique aujourd’hui, en France et dans le monde. La nouvelle histoire mondiale (global history) ou encore l’histoire du gender, du genre (c’est-à-dire le sexe tel qu’il est socialement vécu et construit), illustrent le renouvellement récent des approches. En découvrant la fabrique de l’histoire, cet ouvrage questionne la place de l’historien dans nos sociétés si consommatrices d’histoire(s) et de « mémoire ».

L’histoire des femmes, est également récente. Les premières études ou recherches sont apparu dans les années 60-70, notamment en lien avec les mouvements féministes de l’époque. Ensuite la publication de nombreux articles et ouvrages sont apparus, la difficultés des historiennes et historiens pour retracer cette histoire des femmes, sont les sources. En effet longtemps effacé ou masculine les sources mentionnent difficilement les femmes, puis, la principale production des sources sont les hommes. En 1973-1974, Michelle Perrot, Fabienne Bock et Pauline Schmidt intitulaient leur séminaire, « Les femmes ont-elles une histoire ? », le premier séminaire de ce genre. Rendre visible cette histoire était en premier lieu, sortir de l’universel masculin.

En guise d’exemple l’histoire du suffrage universelle, en se questionnant notamment sur sa porté universelle qui exclu les femmes jusqu’en 1944 de la citoyenneté politique. Les historiennes ont mis en évidence que non seulement l’universel jusque-là étudié n’était en réalité qu’un « demi-universel », mais que celui-ci était pensé, écrit et raconté au masculin. « Métier d’hommes qui écrivent l’histoire des hommes, présentée comme universelle, tandis que les murs de la Sorbonne se couvrent de fresques féminines », écrivent George Duby et Michelle Perrot dans, L’Histoire des femmes en Occident, Paris, Plon, 1991-1992. Par ailleurs, c’est la représentation des femmes qui est ici mise en avant, un exemple de représentation ; les filles sont bonnes pour le français et les garçons pour les maths. L’histoire des femmes est indissociable de cette triple démarche : militante, scientifique et institutionnelle.

En 1988, Joan Scott publie un article « Genre : Une catégorie utile d’analyse historique » dans son article elle montre la volonté de mettre en lien cette histoire des femmes et/ou du genre, il n’y a pas de question qu’un sujet est plus sérieux que l’autre mais un enjeu de recherche. Tandis que dans l’ouvrage de G. Duby et M. Perrot, ils n’utilisent pas le terme de genre ni celui de gender, le débat que l’on peut observer sous la formule « histoire des femmes et / ou du genre » n’est pas nouveau et l’on peut même considérer qu’il est contemporain aux première avancé de l’histoire des femmes.

Pourtant, dès 1972, la sociologue américaine Ann Oakley publie « Sex, Gender and Society » sur la différence entre « sexe biologique » et « sexe social ». À partir des années 1990 un débat très virulent aux États-Unis oppose partisans et partisanes des gender studies et des women studies. Dissociant ainsi les deux champs d’études. Cependant, ces dernières craignent que l’histoire du genre masque à nouveau les femmes, opposant dans une formule lapidaire et dans un jeu de mots intraduisible la Herstory à l’History. Si le terme de gender a été rapidement au centre des débats aux États-Unis comme en Grande-Bretagne, s’il a été traduit et utilisé dans de nombreux pays européens, il rencontra en France une réticence certaine. Cela tient, en premier lieu, au sens du mot « genre » dans la langue française. Ainsi, excepté en grammaire, « le genre », dans son usage courant, n’évoque pas l’appartenance au masculin ou au féminin. Cet obstacle, peut-être en passe d’être contourné, explique l’usage du terme anglo-américain. Ainsi le genre dans sa définition historique se définit par une construction sociale qui a déterminé les rapports de domination homme / femme, le genre concerne donc les rapport qui se construisent entre les femmes et les hommes dans une sociétés, civilisation, et va varier selon sa culture et la façon dont elle va s’organiser

Dans son article Joan Scott (p : 127) parle d’ « intersectionnalité ». Formulée en 1989 par la juriste Kimberlé Williams Crenshaw, c’est une notion qui vient du droit et de la lutte contre les discriminations envers les femmes noires aux États-Unis, du point de vue : social, racial et familiale en l’occurrence celui des General Motors. Elle a profondément renouvelé les pratiques juridiques et interpellé l’ensemble du champs des sciences sociales.

Au Sein de l’histoire des féminismes cela va remettre en lumière l’importance de la trilogie ; classe, race, sexe présente dans le renouveau politique et théorique des années 1960, puis il y a l’ajout de la catégorie de l’âge, ou encore la religion. À cette histoire des femmes va se rajouter le terme « d’intersectionnalité ».

Depuis la fin des années 60 on observe une modification de la présence des femmes dans la profession si on prend l’exemple de la revue des Annales ; entre 1930 et 1932, il n’y a pas d’article signé par une femme dans les Annales, de même entre 1940 et 1942. Entre 1950 et 1952, on relève un peu moins de 3 % d’autrices des différents textes publiés, soit quatre en trois ans (sur 138), la revue publiait quatre numéro par an. Par la suite une légère progression : entre 1970 et 1972, on trouve 15 % de femmes (34 femmes sur un total de 224 signatures) puis, entre 1980 et 1982, on se situe à 19 % (34 sur 179), ce pourcentage reste à peu près stable dans les vingt années qui vont suivre. Puis si on prend l’exemple en « histoire des mondes anciens et médiévaux » en 1981 on trouve 32.6% puis en 1999 ; 49.5% de femme.

L’histoire des femmes s’est donc construite avec les mouvements féministes, elle n’exclut pas mais se met en lien avec l’histoire du genre, comme le souligne Joan Scott, il n’y a pas une catégorie plus sérieuse que l’autre. Elle est également indissociable de la démarche : institutionnelle et scientifique


Bibliographie :

Anheim Étienne, « Genre, publication scientifique et travail éditorial. L’exemple de la revue Annales. Histoire, Sciences sociales », Tracés. Revue de Sciences humaines, 32, 2017, p. 193-212 [en ligne]: https://journals.openedition.org/traces/6914

Thébaud Françoise, « Genre et histoire en France : Les usages d’un terme et d’une catégorie d’analyse ». Hypothèses, 8, 2005. p.267-276. [en ligne] : https://doi.org/10.3917/hyp.041.0267

Scott Joan, Varikas Éléni. « Genre : Une catégorie utile d’analyse historique », Les Cahiers du GRIF, n°37-38, 1988. p. 125-153. [en ligne] : https://www.persee.fr/doc/grif_0770-6081_1988_num_37_1_1759

Virgili Fabrice, (2002). L’histoire des femmes et l’histoire des genres aujourd’hui. Vingtième Siècle. Revue d’histoire, no 75(3), 5-14. https://doi.org/10.3917/ving.075.0005.

Pour plus de détail consulter :

Hubert Ollivier, « Féminin/masculin : l’histoire du genre ». L’histoire de l’Amérique française, 57(4), p. 473–479, 2004. [en ligne] : https://doi.org/10.7202/009638ar