Femmes, genre et santé

Études de cas : au prisme de l’historiographie du genre et des femmes.

C’est d’abord aux États-Unis, entre la fin des années 1980 et le début des années 1990 qu’une prise de conscience a pris forme, autour de la nécessité d’intégrer la dimension du genre pour repenser la médecine et la recherche. Les préoccupations médicales pour la santé des femmes ont longtemps concerné leurs capacités ou leurs incapacités procréatrices, et ne se sont pas attardées sur les autres pathologies que le corps féminins pouvait développer. À partir du début des années 2000, plusieurs organismes de recherche français ont commencé à se saisir de la question, comme l’Institut national d’études démographiques (INED), le CNRS ou l’Inserm. Pour comprendre comment (l’histoire de) la santé chez les femmes au prisme du genre s’est imbriquée dans l’histoire, il est possible de retracer une histoire en passant par les femmes et la médecine de l’Antiquité au Moyen âge puis une approche du XIXe siècle sur le corps des femmes et la naissance de la médecine moderne avec une médicalisation du corps féminin et enfin le XXe siècle et XXIe siècle au regard de trois exemples : la maternité, l’alcoolisme et la religion. 

I. Les femmes et la médecine dans l’Antiquité et au Moyen Âge

Des sources d’hommes 

Les textes médicaux qualifiés de collection hippocratique datent du Ve au IIIe siècle avant J.-C. Ces sources attribuées à Hippocrate sont uniques et exceptionnelles car bien que produites par des hommes, elles contiennent des informations obtenues seulement auprès des femmes et éclairent ainsi certains détails de leur intimité. Les sources s’appuient donc sur des écrits d’hommes, des productions masculines, pour parler des femmes. Les médecins grecs, Hippocrate et Galien sont considérés comme les précurseurs de la médecine. Les historiennes Fabienne Olmer, Sophie Castets, Lydie Bodiou, qui ont travaillé sur cette période, précisent que les sources utilisées sont : littéraires, et épigraphiques. Sophie Castets donne l’exemple d’un extrait qui s’intitule des Maladies des femmes de Soranos d’Ephèse. (Texte établi, traduit et commenté par P. Burguière, D. Gourévitch et Y. Malinas. Paris : 1990 ; Les Belles Lettres) (dans l’article, pp. 29 sur 54).

On trouve également des représentations iconographique faisant plus ou moins allusion aux professionnels (médecins, prêtres, chamans) et aux pratiques médicales ou pharmaceutiques (opérations, remèdes, ex-voto), des objets archéologique et enfin de l’art (instruments, sculptures, peintures pariétales, peintures sur des vases)

Une santé autours de la fécondité

Dans l’Antiquité, les femmes étaient souvent considérées sous un angle biologique et reproductif. Les médecins grecs comme Hippocrate et Galien ont associé les femmes à un corps plus « faible » que celui des hommes. Cependant Fabienne Olmer montre dans son article La médecine dans l’Antiquité : professionnels et pratiques, certaines femmes médecins ont été reconnues par leurs pairs mais sont restées aux tâches de l’enfantement. Agnocidé, est l’une des plus anciennes traces de femmes médecins, elle est née au VIeme siècle av. J.-C. à Athènes donc dans une citée où la loi interdisant aussi bien aux femmes qu’aux esclaves d’étudier la médecine. La médecine antique ne se préoccupait pas de la santé globale des femmes en dehors de leur rôle reproductif.

Cependant, il existe des femmes médecins par exemple : Phanostratée ( IVeme siècle av. J.-C.) médecin et sage-femme et médecin en Grèce ( Medini, en Attique).

CIA 2343 : Épitaphe de Phanostratè – Athènes, IVe s. avant J.-C. Source : Sophie Castets, Les sages-femmes dans l’Antiquité. Gynécologie et obstétrique. p. 47

Scribonia, dont la tombe a été trouvé à Ostie, représenté lors d’un accouchement ;

[XXIV] Relief en terre cuite sur la tombe de Scribonia, sage-femme , à Ostie (Isola Sacra), Ier siècle après
J.-C., musée d’Ostie.

En Gaule c’est une certaine Flavie Hédoné (médecin à Nîmes, 1 siècle de notre ère) 

En ce qui concerne les pathologies, les différentes affections sont représentées sur les ex-voto retrouvés dans les sanctuaires guérisseurs. Sur ces ex-voto on trouve des mains, des oreilles, des pubis féminins, ou encore des seins. Les représentations d’utérus vont témoigner de l’intérêt porté aux questions encore une fois de fertilité et d’enfantement. Mais également de certaines pathologies comme les cancers ou les fibromes. On peut également citer l’utilisation des produits animales comme les sécrétions du castor (castoréum), faisait partie du traitement de nombreuses maladies parmi lesquelles l’épilepsie, mais aussi les douleurs liées à l’utérus.

Lydie Bodiou met en évidence dans : De l’utilité du ventre des femmes, lectures médicales du corps féminin la difficulté de soigner le corps des femmes par deux facteurs, l’ignorance des femmes elles-même sur leur “mal” et la difficulté des médecins à comprendre les spécificités du corps féminin, si on prend l’exemple de la stérilité, c’est les femmes qui en sont responsable puisque c’est elle qui ne vont pas porter d’enfants, c’est la “matrice” (utérus) qui va en être la cause, mais également la cause de toute les maladies. Lydie Bodiou explique que durant l’antiquité, dans la Grèce (classique) il y a une certaine obsession de l’arrivée des règles de la part des médecins hippocratiques, les règles vont rythmer la vie des femmes, cette arrivée montre la bonne “physiologie”, santé mais aussi le bon moment de fécondité pour procréer. Cependant, la puberté féminine, là où généralement les règles débutent, est envisagée comme un danger car une proie des hommes, mais également comme un problème médical, une maladie que le praticien cherche à expliquer par une cause logique. Pour ces médecins, c’est l’alimentation qui produit le sang et, par effet de leur prise de taille et de la maturité de leurs organes, leurs vaisseaux permettent désormais au précieux liquide d’atteindre la “matrice” (appareil génital féminin). Cette focalisation sur le cycle menstruel comme moyen d’identification de maladie met en évidence l’incompréhension, du moins son étroite compréhension du corps féminin. 

Foucault (1963) expliquait la « théorie des humeurs », la santé et les maladies par un équilibre entre les fluides corporels, attribuait des déséquilibres spécifiques aux femmes, comme les troubles menstruels et la grossesse

Au Moyen Âge, la pratique médicale était largement influencée par l’Église catholique, surtout concernant le Haut-Moyen-Age, seul le clergé est instruit et constitue donc milieu intellectuel de la société médiévale. Les femmes, comme objets de soins, étaient prises en charge dans le cadre des institutions religieuses (soins de santé par les religieuses dans les monastères) et domestiques (sages-femmes, herboristes). L’École de Salerne fondée vers 750 (origine reste inconnue) a permis une évolution de l’étude de la médecine, des étudiants de toute confessions sont accueillis pour donner de nouvelles idées médicales, discuter des textes anciens, les enseignants y sont laïcs, ce qui va signer son ouverture c’est la présence de l’activité des femmes au sein de l’école 

Julie Pilorget évoque dans son podcast une progressive exclusion des femmes, le savoir et la pratique était distingué en médecine. La médecine étant essentiellement pratiquée au sein des monastères par les moines donc des hommes vus comme des guérisseurs. Par la suite vont se constituer des écoles de médecine comme celle de Salerne : on va donc commencer à cesser de distinguer les deux et comprendre que la technique s’acquiert et se perfectionne par le savoir et inversement. C’est avec la création des universités notamment celle de Paris que la médecine va prendre de l’importance, cependant les femmes sont exclues des universités.

Cependant, la médicalisation de la grossesse et de la naissance ne faisait pas encore partie du système médical officiel dominé par des praticiens masculins (Armstrong, 1995). L’histoire de la médecine au Moyen Âge reflète aussi une certaine marginalisation des savoirs traditionnels des femmes, notamment dans les soins liés à la naissance.

II. L’approche du XIXe siècle sur le corps des femmes et la naissance de la médecine moderne : médicalisation du corps féminin

Des avancés dans la médicalisation du corps féminin

Le XIXe siècle représente une phase de profondes transformations dans l’histoire de la médecine et des femmes. C’est à cette époque que se développe la médecine moderne, avec des progrès considérables en anatomie, chirurgie, et obstétrique. Les progrès techniques et la naissance de la médecine scientifique ont permis une médicalisation accrue de la grossesse et de la maternité, marquée par la montée des institutions hospitalières et l’appropriation des accouchements par des médecins hommes, au détriment des sages-femmes. Cela a été décrit par des historiennes telles qu’Elizabeth Armstrong (1995), qui montre comment les femmes ont été privées de leur rôle traditionnel dans la gestion de la naissance.

En parallèle, le XIXe siècle a été le théâtre de débats sur la « pathologisation » des corps féminins. Des théories sur la féminité et la santé mentale ont émergé, comme la notion d’hystérie, qui était largement attribuée aux femmes. Selon Michel Foucault (1961), cette pathologisation des femmes a permis aux institutions médicales de contrôler le corps féminin (lien avec avortement, pilule contraceptive) , qu’il s’agisse de leur sexualité, de leur rôle reproductif ou de leurs émotions, vues comme des éléments déviants nécessitant une surveillance médicale. 

À Rouen, des médecins comme Théodore-Émile Leudet et Félix-Archimède Pouchet ont mené des recherches sur la santé des femmes et ont cherché à comprendre les impacts du travail sur leur santé, en particulier celles de la classe ouvrière. Les recherches ont mis en lumière les conditions difficiles des femmes, surtout dans l’industrie, et ont interpellé la société sur l’impact des conditions de travail sur leur cycle menstruel et leur fertilité.

D’autres figures comme Pierre-Auguste Avenel et Raoul Brunon ont exploré des sujets comme l’alcoolisme chez les femmes ou l’impact de la grossesse sur les comportements féminins, notamment les envies et l’hystérie. Cependant, malgré quelques progrès, les actions des médecins rouennais restent souvent marquées par une vision réductrice de la femme, principalement comme un être biologique centré sur la reproduction.

Les recherches sur les maladies vénériennes et les prostituées, ainsi que l’engagement pour améliorer les conditions de vie des femmes, s’inscrivent dans un cadre patriarcal où la société impose des normes strictes quant au rôle de la femme, principalement celui de mère. Le rôle des femmes dans la société reste limité à leur fonction reproductive, bien que certaines recherches, comme celles de Pouchet, préfigurent les avancées futures en matière de contraception et de libération des femmes

Des avancés motivés par une volonté de contrôle du corps de la femme

Le XIXe siècle est une époque charnière pour la médecine moderne et la manière dont le corps des femmes est perçu et traité. Ce siècle témoigne d’un processus de médicalisation croissante du corps féminin, qui devient un objet de plus en plus étudié, surveillé et régulé par les institutions médicales. Cette médicalisation, en particulier à travers la gynécologie et l’obstétrique, va de pair avec un contrôle social accru du corps des femmes, surtout en ce qui concerne leur reproduction.

La première moitié du XIXe siècle marque la domination de la médecine scientifique, qui s’intéresse principalement aux fonctions reproductives des femmes. Le corps féminin est vu avant tout comme un organe reproducteur, et ce regard est renforcé par la pathologisation des corps féminins, comme l’hystérie, qui est utilisée pour justifier un contrôle médical de la sexualité et des émotions des femmes. Les travaux des médecins comme Félix-Archimède Pouchet, qui s’intéresse au cycle féminin et à la génération spontanée, révèlent une volonté de rationaliser le corps féminin à travers la science, tout en maintenant une vision biologisante et limitative de la femme à son rôle reproducteur.

Le contrôle médical du corps des femmes au XIXe siècle ne se limite pas à l’aspect médical ; il est aussi une manière de contrôler leur place dans la société. Par exemple, les recherches de Théodore-Émile Leudet sur la santé des ouvrières mettent en évidence l’impact des conditions de travail sur la santé menstruelle des femmes, suggérant que des conditions de travail dégradées pouvaient affecter leur cycle, mais sans remettre en cause les inégalités sociales sous-jacentes. Leudet semble plus préoccupé par les conséquences de la dégradation physique que par la question des droits sociaux des femmes.

De même, le traitement des prostituées et leur surveillance médicale renforcent cette idée que la femme est d’abord un objet à protéger, non pour elle-même, mais pour la société. La lutte contre la syphilis et l’imposition de contrôles médicaux réguliers témoignent d’une société qui cherche à réguler et à « purifier » la femme à travers la médecine, dans le cadre d’un modèle patriarcal et moraliste.

Bien que des avancées aient été réalisées, la médecine du XIXe siècle reste souvent marqué par une vision réductrice de la femme. Raoul Brunon et Pierre-Auguste Avenel, par exemple, abordent des sujets comme l’alcoolisme et les comportements des femmes enceintes, mais leurs analyses tendent à dévaloriser la femme en la présentant comme gouvernée par ses instincts biologiques plutôt que par des choix autonomes. Cette médicalisation du corps féminin s’accompagne d’une normalisation et d’une marginalisation des femmes qui ne respectent pas ces normes.

Malgré cette vision souvent négative et réductrice, certaines recherches, comme celles de Pouchet, laissent entrevoir les prémices de l’émancipation féminine. Ses études sur la contraception physiologique et le contrôle des naissances, ouvrent la voie à de futures avancées sur la liberté reproductive des femmes. Ces travaux, qui visent à comprendre et à contrôler la reproduction, se révèlent paradoxalement être des prémices de la libération des femmes, en leur offrant plus de pouvoir sur leur propre corps et leurs choix reproductifs.

Le XIXe siècle, en tant qu’époque de transition vers la médecine moderne, a vu une médicalisation marquée du corps féminin. Bien que cette médicalisation ait servi à renforcer des normes sociales strictes, en particulier concernant la reproduction et la sexualité des femmes, elle a également jeté les bases de la réflexion sur la santé reproductive et le contrôle des naissances, qui seront cruciaux pour les avancées féministes du XXe siècle. Les médecins rouennais, à travers leurs recherches et leurs actions, ont contribué à cette évolution, tout en restant ancrés dans une vision traditionnelle et patriarcale du rôle des femmes dans la société.

III. Le XXe siècle et XXIe siècle  : Femmes, santé et féminisme

Premier exemple : Une santé liée à la maternité

Au XXe siècle, les luttes féministes ont pris une place importante dans les débats sur la santé des femmes. Les femmes ont commencé à revendiquer un contrôle plus direct sur leur propre corps, en particulier sur la question de la contraception, de l’avortement, et de l’accès aux soins médicaux. Les travaux de l’historienne Barbara Duden (1991) ont exploré la médicalisation du corps féminin à travers la grossesse et l’accouchement, et ont souligné comment les femmes ont été exclues des décisions relatives à leur propre santé. C’est aussi un sujet que l’on retrouve dans le travail de Monique Membrado dans Les femmes dans le champ de la santé: de l’oubli à la particularisation.

Elle met en avant l’exclusion des femmes des problématiques de santé générale car les préoccupations médicales qui les concernent sont basées sur leur capacité ou incapacité d’accès à la maternité. Elle propose donc une critique de la manière dont les femmes sont souvent réduites à leur fonction maternelle dans les représentations médicales et sociales, et plaide pour une vision plus inclusive et diversifiée de leur santé, qui ne se limite pas à la reproduction.

Elle explique que les féministes dénoncent la médicalisation du corps féminin, soulignant l’influence du modèle biomédical et de l’idéologie masculine, qui enferme les femmes dans une vision essentialiste liée à la maternité. Cette approche a façonné des recherches sociales, comme celles de Durkheim, qui réduisaient les femmes à leurs instincts naturels, limitant ainsi leur rôle dans la société.

La prise en compte du genre dans les études historiques a été une autre avancée importante. Dans son ouvrage The History of Women’s Health (2010), l’historienne Julie Andrews démontre comment la santé des femmes a été influencée par les rôles sociaux et les attentes culturelles, créant une ligne de démarcation entre les soins « appropriés » pour les femmes et ceux des hommes. Les femmes ont, par exemple, été traditionnellement vues comme plus vulnérables à certaines maladies (hystérie, dépression), ce qui a conduit à des traitements souvent inappropriés et à une subordination des femmes dans la sphère médicale.

La prévention du cancer du sein, notamment à travers les campagnes de dépistage, reflète l’impact des modèles sociaux de genre sur les expériences de santé des femmes. Une étude avant la mise en place de ces campagnes a révélé que les femmes plus jeunes, issues d’une époque d’émancipation féminine, consultent davantage et pratiquent plus l’auto-examen des seins. En revanche, les femmes plus âgées, souvent après une hystérectomie (chirurgie pratiquée pour enlever l’utérus avec la possibilité d’enlever d’autre organe féminin, ce qui déclenche l’arrêt des règles), négligent la prévention, associant le suivi gynécologique à la maternité et le jugeant inutile après la fin de leur capacité reproductive. Le statut marital influence également l’adhésion aux dépistages, les femmes mariées étant plus enclines à suivre les recommandations médicales.

Le texte souligne la nécessité de dépasser le modèle maternel réducteur et de considérer l’expérience maternelle comme sociale, pas seulement biologique. Il est crucial de ne pas réduire la santé des femmes à leur fonction reproductive et de prendre en compte l’impact du système de genre sur leur santé et leur position dans la société. Dans une approche féministe de la santé, il faut éviter la sur visibilisation des femmes sous l’angle biologique et intégrer les dimensions sociales de leur santé.

Par ailleurs, des recherches révèlent que les femmes, souvent invisibles dans certaines catégories médicales comme les maladies cardiaques ou le sida, subissent encore des inégalités liées à leur double charge (travail domestique et emploi salarié). Les femmes mariées, notamment les plus âgées, semblent plus vulnérables à des troubles de santé, suggérant que les contraintes du mariage peuvent affecter leur bien-être. Ces éléments montrent l’importance de repenser la santé des femmes en tenant compte de leur contexte social et de leur histoire personnelle.

Deuxième exemple : Femmes et alcoolisme

Elle explique que l’alcoolisme féminin a longtemps été perçu différemment de l’alcoolisme masculin, à travers des stéréotypes de genre. Les femmes alcooliques étaient souvent vues comme des « êtres à part », avec des comportements plus secrets et cachés. Les médecins attribuaient fréquemment des caractéristiques de culpabilité, solitude et déni aux femmes, renforçant l’idée de leur spécificité. Dans les années 50-60, l’alcoolisme féminin était interprété comme une névrose liée à des troubles psychologiques, alors que l’alcoolisme masculin était considéré moins pathologique. Les femmes alcooliques étaient parfois perçues comme des victimes de leurs rôles traditionnels de genre et, en accédant au travail, elles étaient accusées d’imiter les comportements masculins, comme boire. Cette vision mettait en péril leur rôle maternel et féminin, renforçant la stigmatisation. L’alcoolisme chez les femmes était plus sévèrement jugé car il menaçait les attentes sociales liées à la féminité et à la maternité. De plus, les comportements alcooliques pendant la grossesse étaient souvent minimisés, ce qui exacerbait la responsabilité exclusivement attribuée aux femmes. L’alcoolisme féminin doit être compris au-delà des stéréotypes de genre. Les femmes alcooliques, selon leur génération, ont souvent été influencées par des rôles traditionnels de genre contraignants. Les transformations sociales, comme l’émancipation des femmes et le féminisme, ont modifié les trajectoires de consommation d’alcool. Une analyse similaire pour les hommes permettrait de mieux comprendre l’alcoolisme dans un contexte de normes sociales inégalitaires, où l’alcool peut devenir un moyen d’exprimer un rejet des attentes sociales liées au genre.

Troisième exemple : Femmes santé et religion

L’article de Saïda Douki Dedieu montre des exemples sur le Maghreb, l’implication de la religion. C’est est une ancienne professeure de psychologie de la faculté de médecine de Tunis.

Dans Les femmes et la discrimination: Dépression, religion et société, elle explore les multiples dimensions des inégalités de genre et leurs effets sur la santé mentale des femmes, en soulignant les facteurs biologiques et sociaux. Elle décrit la prévalence élevée des troubles mentaux chez les femmes, notamment la dépression et l’anxiété, aggravée par des facteurs comme les inégalités de genre, le mariage forcé, la domination masculine et la pauvreté. Les femmes dans certaines régions, notamment en Asie et dans le monde arabe, subissent des discriminations graves, y compris les avortements sélectifs, l’infanticide féminin et des coutumes qui restreignent leur liberté.

Elle aborde, les effets du travail sur la santé mentale des femmes, en particulier le burn-out, causé par la surcharge de travail et les attentes sociales liées à leurs rôles multiples (mères, épouses, professionnelles). Elle, met en avant les attentes sociales concernant les droits sexuels des femmes, la virginité avant le mariage, et l’inégalité de traitement entre les sexes en matière de sexualité, mettant en lumière des pratiques comme les mutilations génitales féminines.

Les problèmes liés au mariage, tels que le mariage forcé, la polygynie, et les mariages précoces, sont également discutés, soulignant les risques psychologiques associés. Le texte met en évidence la pression sociale liée à la maternité et à la fécondité, avec des femmes confrontées à des troubles mentaux, comme la dépression, l’anxiété et les douleurs sexuelles en raison de l’infertilité ou de la stérilisation.

Enfin, elle aborde les formes graves de violence envers les femmes, y compris la violence conjugale et les mutilations génitales féminines, qui ont des conséquences physiques et psychologiques profondes. Elle évoque également la double discrimination subie par certaines femmes (âgées, malades mentales, incarcérées), qui sont particulièrement vulnérables à des troubles mentaux et à des violences, ainsi qu’à l’isolement et à la stigmatisation. Le texte plaide pour une prise en compte plus large des expériences des femmes dans le domaine de la santé, en intégrant les dimensions sociales, culturelles et politiques qui influencent leur bien-être. En effet, la santé psychologique des femmes et souvent oublié contre celle des hommes.

Par conséquent, l’histoire des femmes et de la santé est une question historiographique émergente avec des sources produites par les hommes pour les questions de fécondité, cette histoire met en lumière les rapports de pouvoir, de genre, les inégalités sociales et les luttes féministes à travers les siècles. Une nouvelle approche est permise par l’intersectionnalité (classes sociales, race et sexualité) définis par Kimberlé Crenshaw. Les contributions des historiens et historiennes, comme Foucault, ou Yoann Scott, Françoise Thébaud, ont permis d’élargir notre compréhension de la façon dont les femmes ont été historiquement prises en charge par la médecine, et comment elles ont su, au fil du temps, revendiquer leur autonomie dans ce domaine, ils questionnent également les rapports de pouvoir entre les femmes et les institutions médicales. Le féminisme a également mis en lumière les luttes contre les violences médicales, comme les pratiques obstétricales abusives, et a prôné des soins plus respectueux des femmes. Les recherches récentes ont mis en évidence les différences dans l’accès aux soins de santé, avec des études qui montrent comment les femmes issues de minorités ethniques ou pauvres sont souvent confrontées à des discriminations dans le système de santé. Cela s’inscrit dans une analyse plus globale des inégalités sociales en matière de santé. 1de ce fait, il est possible de faire un parallèle avec l’endométriose, qui reste à ce jours peu connue pour ne pas dire inconnue, et qui s’est fait mettre au-devant de l’opinion publique, de la scène publique, par les féministe (collectifs, associations…) et les réseaux sociaux avec les témoignages de femmes atteintes de cette maladie.

Bibliographie :

Foucault, Michel. Naissance de la clinique : Une archéologie du regard médical. Presses Universitaires de France, 1963.

Bénédicte Percheron, « Soigner les femmes au XIXe siècle, études et actions des médecins rouennais », Mémoires de la Protection sociale en Normandie, dirigée par Yannick Marec, n° 7, décembre 2008, p. 37 – 52.

Sophie Castets. Les sages-femmes dans l’Antiquité. Gynécologie et obstétrique, mémoire en vue de l’obtention du diplôme d’État de Sage-femme, CHU Caen, 2017.

Monique Membrado, Les femmes dans le champ de la santé : de l’oubli à la particularisation. Nouvelles Questions Féministes, 2006/2 Vol. 25, p.16-31. [en ligne] : https://shs.cairn.info/revue-nouvelles-questions-feministes-2006-2-page-16?lang=fr.

Olmer, Fabienne, La médecine dans l’Antiquité : professionnels et pratiques. Sociétés & Représentations, 2009/2 n° 28, p.153-172. [en ligne] : https://shs.cairn.info/revue-societes-et-representations-2009-2-page-153?lang=fr.

Saida Douki Dedieu,  Les femmes et la discrimination : dépression, religion, société, Paris, Odile Jacob, 2011.

Sylvie Cheperon et Nahema Hanafi, « Médecine et sexualité, aperçus sur une rencontre historiographique (Recherches francophones, époques moderne et contemporaine) », Clio. Femmes, Genre, Histoire [En ligne], 37, 2013, [en ligne] : http://clio.revues.org/11030